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Le 7 septembre 1963
DIALOGUE AVEC UN MATÉRIALISTE
Ô Mort, tu dis la vérité, mais une vérité qui tue, Je te
réponds par la vérité qui sauve.
Savitri, X, 3.
L'autre jour, pour une question de travail, j'ai été amenée à
expliquer ma position du point de vue de la conviction matérialiste (je ne sais
pas où ils en sont maintenant, parce que je ne m'occupe pas de cela
généralement).
Pour eux, toutes les expériences qu'ont les hommes sont le
résultat d'un phénomène mental — c'est cela, on est arrivé à un développement
mental progressif (ils seraient bien incapables de dire pourquoi ni comment !) —
enfin c'est la Matière qui a développé la Vie, et la Vie qui a développé le
Mental ; et toutes les expériences soi-disant spirituelles de l'homme sont des
constructions mentales (ils emploient d'autres mots, mais je crois que c'est
leur idée). En tout cas, c'est une négation de toute existence spirituelle en
elle-même et d'un Être ou d'une Force, ou de Quelque chose, qui soit supérieur
et qui dirige tout.
Je le répète, je ne sais pas où ils en sont maintenant, mais
j'étais en présence d'une conviction de ce genre.
Et alors j'ai dit : "Mais c'est très simple ! J'accepte votre
point de vue, il n'y a pas autre chose que ce que nous voyons, l'humanité telle
qu'elle est; et tous ces soi-disant phénomènes intérieurs sont dus à une action
mentale, cérébrale; et quand on meurt, on meurt — n'est-ce pas, quand le
phénomène d'agglomération est arrivé au bout de son existence et qu'elle se
dissout, tout se dissout. C'est très bien."
Il est probable que si les choses avaient été comme cela, la
vie m'aurait paru tellement dégoûtante que j'en serais partie.
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Mais je dois dire tout de suite que ce n'est pas pour une raison morale, ni même
spirituelle que je désapprouve le suicide, c'est que, pour moi, c'est une
lâcheté, et il y a quelque chose en moi qui n'aime pas la lâcheté, et par
conséquent je ne me suis pas... Je ne me serais jamais enfuie du problème.
C'est un point. ,
"Et alors, une fois que vous êtes ici et que vous devez aller
jusqu'au bout, même si le bout est un néant — vous allez jusqu'au bout et il
vaut mieux y aller le mieux du monde, c'est-à-dire à votre plus grande
satisfaction. Il se trouve que j'avais des curiosités philosophiques et que j'ai
étudié un peu tous les problèmes, et je me suis trouvée en présence de
l'enseignement de Sri Aurobindo, et ce qu'il dit est de toutes choses ce qui a
été, pour moi, le plus satisfaisant ; ce qu'il a enseigné (je dirais révélé,
mais pas à un matérialiste), ce qu'il a enseigné est de beaucoup, parmi les
systèmes humains formulés, le plus satisfaisant pour moi, le plus complet, qui
répond de la façon la plus satisfaisante à toutes les questions qui peuvent se
poser, et celui-qui m'aide le plus dans la vie à avoir le sentiment que ça sert
à quelque chose. Par conséquent, j'essaie de me conformer entièrement à ce qu'il
enseigne et de le vivre intégralement de façon à vivre le mieux du monde — pour
moi. Cela m'est tout à fait égal que les autres n'y croient pas — qu'ils y
croient ou n'y croient pas ne fait pas de différence pour moi ; je n'ai pas
besoin d'être soutenue par la conviction des autres, il suffît que ce soit ma
propre satisfaction." Eh bien, plus rien à dire.
L'expérience a duré longtemps — dans tous les détails, à tous
les problèmes, j'ai répondu comme cela. Et quand j'ai été au bout, je me suis
dit : "Mais c'est merveilleux comme argument !" parce que tous les éléments de
doute, d'ignorance, d'incompréhension, de mauvaise volonté, de négation,
toutes ces choses qui viennent, immédiatement, avec cet argument, cela, c'est
parti — c'est annulé, cela n'a pas d'effet.
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Et après tout, tout était tenu en main, solide —qu'est-ce que
vous avez à dire ?
(silence)
Il est beaucoup plus facile de répondre à des matérialistes à
tout crin, convaincus, sincères (c'est-à-dire "sincères" dans la limite de leur
conscience) qu'à des gens qui ont une religion ! beaucoup plus facile.
Mais naturellement, au point de vue intellectuel, toutes les
convictions humaines s'expliquent et ont leur place — il n'est rien de ce que
les hommes ont pensé, qui ne soit la déformation d'une vérité. Ce n'est pas cela
la difficulté, mais c'est justement le fait que, pour les gens religieux, il y
a des choses qu'ils ont le devoir de croire, et c'est un ''péché" de
permettre à l'esprit de discuter — alors ils se ferment, naturellement, et
jamais ils ne pourront faire un progrès. Tandis que les matérialistes, eux, sont
censés, au contraire, tout connaître, tout expliquer — rationnellement, ils
expliquent tout. Et alors (Mère rit) par le fait qu'ils expliquent tout,
on peut justement les mener là où l'on veut aller.
Voilà.
Il n'y a rien à faire avec les gens religieux.
Oui.
Mais d'ailleurs ce n'est pas bon aussi. S'ils se sont accrochés
à une religion, c'est que cette religion les a aidés, d'une façon ou d'une
autre; a aidé en eux, justement, quelque chose qui voulait avoir une certitude
et ne pas avoir à chercher — pouvoir s'appuyer sur une chose solide sans être
responsable de la solidité, quelqu'un d'autre est responsable ! (Mère rit)...
et s'en aller comme cela. Et c'est un manque de compassion de vouloir les tirer
de là — il n'y a qu'à les laisser là où ils sont. Jamais je ne discute avec
quelqu'un qui a une foi — qu'il garde sa foi !
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Et je me garde bien de lui dire quelque chose qui pourrait ébranler sa foi,
parce que ce n'est pas bon — ils ne sont pas capables d'en avoir une autre.
Mais un matérialiste... : "Je ne discute pas, j'accepte votre
point de vue; seulement vous n'avez rien à dire — j'ai pris ma position, prenez
la vôtre. Si vous êtes satisfait de ce que vous avez, gardez-le. Si cela vous
aide à vivre, c'est très bien.
"Mais vous n'avez aucun droit de me blâmer ou de me critiquer,
parce que c'est sur votre propre base. Même si tout ce que j'imagine est une
simple imagination, je préfère cette imagination à la vôtre." Voilà.
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